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Entrevue avec Manu Wattecamps

manu

Manu Wattecamps-Etienne est un authentique vagabond des mers. Inspiré par le voyage du Damien et les aventures de Moitessier, il navigue en solo depuis l’âge de 19 ans, quand il arriva à s’acheter son premier bateau, un Super Challenger qu’il nomma “Chimère”.  Mais c’est à bord de sa deuxième Chimère, un Glénans 33, que le jeune breton a malgré lui capturé l’attention des médias: le 20 octobre 2015, à 400 milles au large de Cold Bay (Alaska) suite à un chavirage qui endommage irréparablement son bateau, il déclenche sa radiobalise. Le sauvetage, par 40 noeuds de vent et creux de 6/7 mètres, est filmé par les US Coast Guards et la vidéo rediffusée sur internet. Le cas devient encore plus fameux car Manu arrive a sauver aussi son petit chat, Pipalup.

“Nuit d’enfer. À sec de toile, barre amarrée sous le vent, La Chimère derive par le travers, passavants constamment sous l’eau. Le bateau ne pointant pas assez vers la lame, je decide d’aller à l’avant mettre à poste une ancre flottante. Je m’équipe consciencieusement, prends le temps de mettre au propre le cordage pour n’avoir plus qu’à amarrer, jeter, et rentrer me planquer dans la cabine. En bas des marches de la descente, je souffle un bon coup et me claque le visage pour me mettre un peu de rage dans les tripes. Je ne suis pas en forme, depuis le début de la tempête, ne sachant pourquoi j’ai les jambes qui tremblent et les idées lentes. Et puis il y a un truc dans l’air, l’odeur de quelque chose, je le sens moyen cette fois.

J’attrape plusieurs comprimés effervescents de vitamine C, la bouteille de bourbon, et à pleine gorge fais descendre le tout. Corps et esprit s’échauffent, les effets et l’immonde saveur du breuvage ne manquent pas de me donner la force espérée. Je saisit la poignée de la porte, qui tremble follement sous la force des rafales, compte jusqu à trois puis ouvre et me jette dans l’arène. Le combat commence alors.

La pluie me fouette le visage, m´empêche d’ouvrir les yeux. À l’aveuglette, au milieu d’un furieux bouillon, je rampe sur le pont vers l’étrave. La mer s’envole dans les rafales, en m’enveloppant d’une brume saline cinglante et démoniaque. Le bateau se couche une première fois, mais je vois venir la vague et me cramponne à temps. Ça passe sans problème et je profite de la brève accalmie habituelle qui succède aux rafales pour atteindre l’avant. Sans jeu de mots je garde la tete froide car je sais que la précipitation peut parfois aller jusqu à me faire oublie le plus basique des gestes de mon quotidien. J’amarre, je jette, je rampe dans l’autre sens. Par quelques brefs coups d’oeils alentour je parviens à m’assurer que tout est toujours en place, gréement, safran, régul, panneaux solaires, etc.

À l’instant je referme la descente sur moi, de nouveau a l’abri, le bateau se couche une fois encore et dérape sur le côté, balaye par un furieux bouillonnement d’écume. Des clacs, des boums, des cracs, le bateau a souffert. Déjà je sais que l’ancre flottante est perdue, qu’il me faut recommencer. J’ai choisi d être marin, maintenant il faut faire le boulot, assumer. Je ne sais pas encore que bientôt je n en serais plus capable.

À nouveau sur le pont, je grogne, m’animalise. Je prends le risque d’ouvrir les soutes, y déniche deux bidons vides que je débarrasse de leurs capuchons et du cordage souple et robuste. Retour vers l’étrave, sur le ventre une fois de plus. Ce n’est pas aux fesses que je vais finir par user mes cires mais bien au ventre, dans ces coins-là! Le cordage, au taquet, son autre extrémité nouée aux bidons, je balance le tout. incroyable, emportés par le vent les bidons refusent d’atterrir sur le tribord et tentent de s’enrouler autour de la sous-barbe du bout dehors. Je constate que celle-ci est étrangement molle d’ailleurs. De toutes mes forces je jette à nouveau, cette fois-ci on y est. Je regagne mon refuge tandis que l’étrave pointe doucement vers l’avant au fur et à mesure que les bidons se remplissent. Cela tiendra ce coup-là, j’espère. Je me barricade dans la cabine et désemparé realise que je ne peux plus rien d autre qu’attendre des heures plus douces. Je m’allonge sur une banquette, trempe, Pipalup calfeutrée au creux de mes bras. Pip est une petite chatonne que j’ai ramassé, affamée et en piteux état, sur les docks de Dutch Harbor. La bougre, confiante, ronronne du plaisir de se coller à son marin, insouciante du danger et plus a l’aise que moi-même. Jusqu à ce que.

Un choc effroyable, pas de mot pour le décrire. Une vague d’une incroyable puissance, comme un rocher que l’on heurte, mais un rocher qui fait route à toute allure sur La Chimère. À l’intérieur, c’est comme si le bateau implosait. Un fracas qui semble durer des heures, semblable au bruit d’un lave linge que l’on aurait emplie de verre et de boulonsOui, c’est complètement ça, un bruit qui roule dans un tambour et qui dure, mon Dieu. Tout devient noir, je suis roué de coup par mon propre bateau, qui m’ensevelit sous ses décombres. Le plafond devient le sol et tout s effondre sur moi. La cabane sur le chien. Outils, bidons, cuisine, chauffage, planchers, en bref tout le bateau, s’écroulent sur moi qui suis implacablement écrasé au plafond. La Chimère coule. Ça gicle par le mât traversant, qui fait office de trou béant dans le pont une fois le bateau retourne. Et quel débit. Nouveaux roulements de verre, de boulons, de tambour. La Chimère se redresse, aidée par le poids de sa quille. Et tout recommence dans l’autre sens, le fracas, la douleur, l’affreux bruit d’agonie du bateau. Vautre dans un amas indescriptible d’immondices je suis sonné, KO.

Je sens les répugnants geysers sales qui me glacent le visage, ce sont les 15m du mat qui finissent de se vider dans la cabine. J’essaie de me relever, de reprendre mes repères, mais c’est trop dur au milieu de ce qui n’est plus qu’une montagne d’ordures comme on en trouve dans les décharges. J’arrive à trouver le tableau électrique, mais celui-ci et complètement démantibulé. Pourtant, à ma grande surprise, lorsque j’actionne la pompe de cale un doux vrrr se met en route. Aller Manu, faut tout remettre en ordre! Merde le chat… Pip? Pip putain… Je ne la trouve pas. Comment le pourrais-je au-dessous de tous ces trucs lourds, coupants, qui s’entassent désormais sous mes pieds. Je voulais la sauver d’une mort et quasi certaine et lui en offre un tout aussi atroceCar ça ne fait pas de doute, aucune petite bete ne peut survivre à çaJ’en suis tout retourné.

Mais il ne faut plus penser, faut agir car je coule. Sans en baisser le niveau la pompe semble étaler l’eau qui rentre, mais pour combien de temps? Aidé de toute l’eau qu’il contient, le bateau roule dangereusement avec un bruit insupportable de ressac. Je me risque à sortir sur le pont, faire un bilan. Le régul est tordu et inutilisable, le safran craque et ne répond qu’a moitié, la moitié des panneaux solaires est pliée ou fissurée, d autres ont disparu. À ma grande surprise le mât et le gréement sont toujours à poste. Sous le vent des chandeliers sont tordus et il me semble voir que la coque s’est déformée par endroits, cabossée. En touchant cette dernière je prends quelques décharges; court-circuit. Bientôt je n’aurais plus de jus pour alimenter la pompe, plus de safran pour barrer, ce n’est plus qu’une question de temps. Le pont est propre, d’un blanc immacule, le mât et les voiles sont , au premier coup d’oeil le bateau semblerait presque apte à reprendre la route! Quelle frustration… Qui écopera l’eau qui continue de rentrer lorsque la pompe ne tournera plus et que je devrais refixer le panneau de soute en partie arraché? Et lorsque je bricolerais un safran de fortune? Et manoeuvrerais? et dormirais? Puis d’où vient cette foutue flotte? Une vanne partiellement arrachée? Ja jaumière du safran? Putain mon bateau se disloque et je suis impuissant.

Je rentre vite m’abriter dans la cabine et miraculeusement trouve clopes et briquets de secours, bien au sec dans leur planque. Tout en tirant avidement sur la cibiche salvatrice, je déblaie tant bien que mal afin de pouvoir circuler dans la cabineMais déjà une nouvelle vague s’abat, tout vole et tourneboule à nouveau, de l’eau encore, partoutMerde, c’est sans issue putain! je vais la perdre La Chimère!

Bon, maintenant s’agit de ne pas crever avec, ni d’attendre d’être dans le radeau de survie pour déclencher la balise. Clac. Une LED rouge, une blanche, une rouge encore, etc. Une impression de déjà-vu… Au moins cette fois je n’aurais pas besoin de lire la notice avant de mettre l’appareil en route.
Et ce foutu sanglot que je n’arrive pas à contrôler. Merde, mon bateau, ma vie, ce que je suis. Y a pas de footballeurs sans pieds, ni de gitans sans caravane. C’est un bout de moi qui agonise. L’océan a le gout des larmes, du sang aussi, qui coule au creux de mon oeil, de mon nez, jusqu à mes lèvres. Ne pas penser, agir. on écope, on déblaie, on cherche inutilement à remettre le bateau propre, un peu comme un fusillé qui decide de mourir avec panache vêtu de son plus beau costume. Ma Chimère… Tu peux pas couler, pas comme ça. Ce n’est pas une tempête frigide et timorée comme celle-ci qui aura ta coque, t’as connu tellement pire. Que ce coup de vent, oui. Mais que CETTE vague… Avec honneur, mon bateau. Creve la tete haute et le mat debout. Si seulement j’avais la force de t’accompagner, je serais délivré d’un futur sans vie. Mais j’aime trop l’air qui emplit mes poumons pour le renier au profit de profondeurs océaniques.Alors j’attends. Un appel VHF, une lumière à l’horizon, un signe de délivrance. Les heures passent et rien ne vient. Normal a vrai dire, ce ne sont pas le genre de parages très peuples de navires, bien au contraire et surtout en cette saison. Je le savais en y allant, j’ai joué et j’ai perdu. Sans gagner de terrain sur elle, je parviens toujours ou presque à étaler l’eau qui rentre. J’ai des chances de garder mon bateau à flot jusqu à l’arrivée de… je ne sais pas. La balise est déclenchée, certes, mais comment savoir si elle émet véritablement? Moments de doutes. Puis tout arrive d’un seul coup. Pipalup qui surgit tremblante et frigorifiée de sous un tas de farine et de papiers détrempés, l’avion des gardes cotes qui me contacte tandis qu’il me survole et l’annonce du changement de cap du Tor Viking qui fait route vers moi et compte m’atteindre d ici 3 ou h. C’est long mais ça peut le faire, si je ne reprends pas de vagues sur la gueule. Mais surtout, je ne dois pas faire davantage d’eau… Dehors, quelques bouillons atrocement familiers annoncent la charge de plusieurs vagues successives, mais La Chimère bouchonne et évite miraculeusement. Bon à essorer, voila désormais une dizaine d’heures je marine dans l’eau de ma cabine. Je me sens faible et grelotte, Pipalup au creux de mes bras me lèche et me nettoie le sang du visage. J’essaie de m’activer finalement, pour ne pas perdre la force, mais j’ai beau grogner, me frapper et tout tenter pour m’échauffer la cervelle, la seule bête qui est en moi désormais est un animal affaibli qui lutte seulement pour trouver le courage de se mouvoir.Enfin le brise-glace est en vue. On cause de la manoeuvre et les gars semblent savoir ce qu’ils font. Mais bon Dieu que cet ultime effort sera intense… Car rien n’est joué encore, loin de la. Il va falloir sauter… Un lourd sac sur le dos, ma sacoche en bandoulière et le chat glissé dans ma combinaison, je sens l’espace d’un instant que je serais incapable de quoi que ce soit d’autre que de couler à pic, charge ainsi. Mais l’adrenaline monte. Perpendiculaire à La Chimère, le navire est désormais suffisamment proche pour me jeter un cordage que je passe à mon harnais. Effroyablenent roulle par la mer encore forte, le Tor Viking ne tarde pas à venir taper la Chimère. Le bout dehors vole comme une brindille, plie au premier coup et brise net au second. De même je suis catapulté, bousculé, et parfois me jette de justesse en arrière en évitant in extremis de me faire broyer entre les deux coques. J’entraperçois une ouverture. Debout à l’extrême pointe de mon voilier, j’entame l’ébauche d’un saut mais me retire précipitamment en arrière. Un instant de plus et je me faisais écraser, semble-t-il. Nouvelle tentative, les jambes fléchissent, les mains ses libérent, je saute. J’agrippe la rambarde du brise-glace et utilise tout le poids de mon sac pour basculer par-dessus celle-ci dans la continuité du saut. Tout doit se faire d’une traite, car en tentant l’acrobatie en deux temps je tomberais inevitablement à la renverse. Tete la première, je m’écroule dans la coursive extérieure que balaient constamment les vagues et déjà plusieurs mains m’attrapent, me relevent et m’entrainent avant que ne me happe l’océan.Et puis tout va trop vite, on m’emmène, on m’ausculte, on ne me laisse pas le temps de pleurer mon bateau qui disparaît au loin. Chacun déborde de gentille attention à mon égard, l’un me fournit des vêtements, l autre du matériel de toilette ou encore un bon repas chaud, et tous me croient désormais soulage et apaise d’être en sécurité. Personne ne peut se figurer que la souffrance véritable, la détresse profonde, c’est paradoxalement maintenant qu’elles prennent corps, que la plus belle partie de mon âme a choisie de rester à bord de La Chimère. Puisse-t-elle renaitre de ses cendres comme elle le fit jadis.”pipalup

Touché par son récit, je lui enviai immédiatement un message de solidarité et encouragement de la part des équipiers de L’Alliance, auquel il reponda tout de suite, en nous remerciant. Les messages s’enchenaient, et tout en bavardant je lui ai proposé de rédiger une vraie entrevue… la voilà:
Commence s’il te plaît par un peu de bio… année et lieu de naissance, combien de milles t’as laissé dans ton sillage depuis que tu partas, il y a 9 ans (si t‘arrives à me faire parvenir une carte du monde avec dessiné ton sillage ça serait classe! ) tu avais déjà perdu un bateau auparavant? J’ai cru lire que ce n’est pas la première fois que tu déclenches une radiobalise.
Je n’ai jamais été bon en bio, mais je crois que je peux m’en sortir! Je suis a Rennes, en septembre 1987. Le nombre de milles je ne sais plus exactement, mais cela doit se trouver entre 45 et 50 000 milles. La carte avec mon sillage, elle est restée dans La Chimère… Je peux te donner une liste grosso modo de mes routes, cela te permettra de dresser une carte ensuite. J’ai commencé par les canaries, Cap-Vert, nord-est du brésil, amazone, Trinidad, terre neuve, tentative avortée par une avarie de monter au Groenland suivie d’un retour vers Saint-Pierre-et-Miquelon, traversée vers l’Europe qui se termine à mi-chemin, lorsqu après avoir cassé mon safran un pétrolier se détourne pour me porter assistance et m’éventre la coque, m’arrache le pont et me casse le mat. plus question d’emprunter des outils pour réparer, ça se finit donc par un grutage au milieu de l’Atlantique et direction Amsterdam. repartis ensuite, avec le même bateau refait à neuf vers les canaries, Cap-Vert, brésil, Argentine, Cap horn, canaux de Patagonie, Valparaiso, traversée de 48 jrs jusqu aux Marquises puis 60 jrs de plus jusqu à Hong Kong, ou je tire un bon prix de cette première Chimère.
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Je prends l’avion pour la France, moins d’un mois après j’achète cette deuxième Chimère (surtout pas Chimère 2 car à l’oral le jeu de mots n’est pas très fin.) 3 mois de plus et je repars vers l’Espagne, les canaries et les Antilles ou je fais pas mal de fric en tant qu’élagueur de cocotier et peux ainsi préparer décemment mon bateau pour les passages du nord-ouest. Montée ensuite au milieu de l’hiver dernier vers les Bermudes, la Nouvelle-Écosse et Saint-Pierre-et-Miquelon, dans des conditions glaciales et constamment malmené par des tempêtes successives. C’était voulu car il fallait éprouver le bateau et le marin pour les passages du nord-ouest à venir. je grimpe ensuite aux beaux jours sur le Groenland, puis me lance dans les fameux passages du Nord Ouest.
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J’en sors à la mi-septembre et me dépêche de descendre sur les aléoutiennes avant d être rattrape par l’hiver. la suite tu la connais… pas perdu de bateau, non, mais cette histoire de safran casse et de pétrolier était cette première balise déclenchée.

Apparemment tu considères ta façon de vivre comme une manière de t’écarter de la société: quels sont les valeurs et les aspects de la société moderne que tu ne partages pas?

Les valeurs et les aspects de la société qui ne me conviennent pas… pas évident d’y répondre. c’est un ensemble de choses. le fait que l ont presente à nos jeunes qu’un unique schéma possible de vie, qu’on ne leur laisse pas imaginer qu’il existe des tas d’alternatives pour réussir dans la vie, que l’on essaie d’en faire des moutons identiques jusqu à la moindre bouclette alors que notre richesse vient de notre différence, que l’on entretient la peur et la crainte pour garder le peuple soumis, le fait qu’un jour je suis allé porter plainte dans un commissariat pour je ne sais quelle broutille et que j’en suis sorti une nuit plus tard tabasse au plus haut point par ceux-là eux-mêmes qui sont censes représenter notre justice…

Il y a le fait que l on nous dise constamment que tout va mal, que c’est la crise, que l’on nous pousse à l’endettement pour nous garder encore et toujours soumis au bon vouloir des puissants.

On nous laisse marcher dans la rue, manifester, bruler parfois une ou deux bagnoles pour nous donner l’illusion d’avoir notre mot à dire et de nous battre pour nos droits, mais lorsque chacun rentre chez lui le soir, épuise d’avoir gueulé dans les rues, c’est toujours la même merde.

Et puis je ne sais pas… on trime, on transpire, on s epuise, mais à la fin du mois c est toujours la même galère, les mêmes angoisses, puis on devient vieux avant même d’avoir pris le temps d’être jeune.

chimere2 Tu as fait ton choix de vie très jeune… tu ne le regrettes jamais?

Il m’arrive bien sur de penser à ma famille, à ma filleule que je ne vois pas grandir, à ma grande mere qui prend de l’âge sans que je ne puisse l’accompagner dans ses dernières années de vie. parfois, lorsque je suis dans des phases un peu tendue de ma vie, quand je commence à avoir faim, je me prends à imaginer la chaleur d’un foyer, d’une famille, les rires de mes enfants autour de moi et une jolie routine, avec le facteur qui me saluerait par mon prénom chaque matin, ou le boulanger qui me servirait mon pain sans que je n’aie à préciser lequel. Mais aussitôt que j’essaie de passer du temps quelque part je crève de repartir, j’en suis ronge et torture. Et si je ne largue pas vite les amarres, je dégringole rapidement au fond d’un trou noir de désespoir.

Tu vois ces prêtres, ils sont appelés par Dieu et décident de lui consacrer leur vie entière. Je n’ai pas rencontre Dieu, je l’aurais voulu mais ce n’est pas le cas. Mais je compare parfois leur vocation à cet appel du marin par l’océan. C’est pour la vie, comme une douce malédiction.
Et puis tu mets un albatros à Paris, il est complètement paumé, ne fait pas long feu. Un pigeon au cap horn pareil.

T’as une gamine??
Non, une filleule. je suis parrain d’une petite fille…
 
Ahh… Je ne connaissais pas ce mot! …que penses-tu des jeunes qui dans les derniers années ont essayé d’établir des récords genre la plus jeune femme à boucler un tdm en solitaire? Et des régates comme la Vendée Globe?
La fille de 16 ans qui a fait un Tdm sans escale? Je dirais que c’est insultant pour ces gars qui ont trimé dur pour essayer de se faire un nom et de se lancer dans la course au large, avec leurs moyens minuscules mais une détermination d’enfer. Son papa lui a offert un bien joli bateau, et en cas de pepin il était constamment à côté pour la récupérer. Où est l’exploit lorsque le risque n’est plus? Cela n’empèche que ce doit être un sacré bout de marin cette gamine, mais je ne respecte pas la démarche globale de ce défi.
Le Vendee Globe? Une tuerie!!!!! Ça c’est de la course au large. Un melange de vitesse et d’endurance, il faut savoir préserver son bateau tout en allant vite. Je pense que c’est l’apogee d’un parcours de marin, ce genre de course.
Une expérience personnelle, spirituelle et émotionnelle qui doit probablement être a la hauteur de la performance sportive.
icy seas

Aimerais-tu un jour skipper un open 60 sur une course pareille? Est-ce que tu aimes la compétition?

Un open 60? au vue des budgets que ça représente je ne serais jamais sur la ligne de départ d’un vendee globe, mais… tu n’as pas idée depuis combien d’années j en rêve! Ces machines sont des bijoux de la technique, aussi marines que performants. le parcours, le principe, c’est LA course par excellence.

Acepteraistu un sponsor n’importe lequel pour l’achat de ton nouveau bateau? Ou tu penses que ça ne serait pas très cohérent d’avoir par exemple une grosse boîte multinationale comme sponsor?

J’accepterais d’être sponsorisé par toute entreprise dont la politique me semble en accord avec mes idées: disons que jamais je ne courrais sous les couleurs de total fina quoi.

As-tu pensé à écrire un récit de tes aventures comme les grands solitaires du passé?
J’ai un bouquin de prêt, écrit et corrigé, mais ça me gonfle tellement de démarcher les éditeurs

J’imagine que chez Arthaud ils ne se feraient pas prier pour te publier…

J’avais commencé les démarches mais n’ai jamais eu de réponses. peut être que mon bouquin ne plaît pas, c’est une hypothèse à envisager aussi

Ah ah… envoit-le moi… je te le publie!
Raconte-nous un peu ta situation actuelle et tes plans pour le prochain futur: comment penses-tu rebondir depuis ce naufrage, qui malgré toi t‘as rendu assez populaire?

Mes projets des prochaines semaines: gagner la France le plus vite possible, attraper mon sac, et mon chat, et faire du pouce autour de la France a la recherche d’une coque en alu d’une quarantaine de pied, qui sera la carotte pour faire avancer l’âne et me donnera la force de transpirer pour m’en saisir. Puis j’irais embrasser ma mere ensuite.

Dernière question: est ce ton naufrage t’a appris qqchose? C’est en suite de ça que tu veux passer sur une coque un peu plus grande?

Je ne dirais pas que j’ai appris quoi que ce soit que je ne savais déjà. toute ma vie j’en apprendrai encore et toujours plus de la mer, mais cet épisode n’était pas destiné à m’enseigner autre chose que la force de rebondir une fois qu’il faut recommencer sa vie à zéro. J’ai reçu beaucoup de messages d’encouragement, e suis vraiment touché par la chaleur de ces mots, par leur soutien. C’est tellement bon parfois, de recevoir un peu de réconfort… et cela confirme ce que je me dis parfois: je ne navigue pas vraiment seul, ce sont tous ces gens qui font vivre le rêve, donne corps à la Chimère, qui m’accompagnent au fil de mes routes.

La coque un peu plus grande, il y a en partie de ça, oui. bien que je suis persuadé que mon bateau était aussi marin qu’un plus gros (c’était vraiment un bateau exceptionnel) et qu’une telle vague aurait retourné de la même manière un voilier deux fois plus grand. il y a aussi et surtout le fait que je veux être capable de Voyager en famille, si un jour le Coeur m’en dit.


Manu Wattecamps, explorateur solitaire por spm1ere

7 comments

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  1. marion

    bonjour,
    Est-ce qu’il y a une adresse mail pour contacter Manu? Je n’ai pas facebook (ou ce genre de trucs) et j’aimerais lui écrire.

    merco
    -marion

  2. Gentil andré

    T’as eu chaud !
    Pour ton bouquin..Essayes “l’ancre de marine”
    Bonne continuation
    Demain,c’est maintenant !
    André Gentil.

  3. J-Philippe

    bonjour,
    c’est pas mal le cap vert pour ce retrouver .

  4. PL

    Bonjour,

    Je suis un jeune chercheur canadien et je travaille sur la navigation de plaisance.

    J’aimerais pouvoir soumettre le questionnaire a Manu Wattecamps-Etienne pour qu’il contribue a notre étude.

    Je n’ai cependant pas son email.

    Bien cordialement,
    PLT

    1. metello

      Bonjour, désolé pour le retard, mais on est en nav et ça fait un moment qu’on est déconnectés… vous puvez contacter Manu par facebook: Manu Wattecamps-Etienne

  5. Redbull

    En fait , à Manu il lui arrive toujours un tas de galère !
    Moi je l’ai rencontré dans le Sud avec sa Chimère en plastic , et ça n’arrêtait pas de lui tombé dessus les tracas … Et puis des balises de détresse , il les déclenche sans arrêt !
    Moi je me dis que Manu s’il n’avait pas Papa , Maman et sa balise de détresse , ben il se démerderait forcément tout seul pour rester en vie . Et puis aussi , s’il passait pas sa vie à la raconter sur Facebook , ben il pourrait consacrer plus de temps à la préparation plus sérieuse de son bateau .
    Enfin bon , je l’aime bien le Manu , j’ai le même age que lui quasiment ,il ce que je veux dire , que y’en a plein des navigateurs vachement sympas aussi , et qui font des sacrément belles navigations , mais dans la discrétion …
    Allez , peace ,
    Redbull.

    1. metello

      Jajaja… dans ton sarcasme, il y a quand même des bonnes remarques. On sait très bien qu’il y a un tas de grand marins qui ont choisi d’être discrets, et de rester dans l’anonimat, sans raconter à personne ses aventures et ses défis perso. J’en rencontre de temps en temps au fil de mes escales… C’est même peut-être la majorité, et parmi eux ça se trouve qu’il y a les meilleurs navigateurs de tous les temps. Mais comme ils ne laissent pas de traces, on ne le saura jamais. Henry Wakelam (1931/2017), par example, a eté un marin certainement plus habile que Moitessier, mais si ce dernier n’avait pas écrit ses récits, il ne nous aurait pas fait rêver, il n’aurait pas inspiré des générations de vagabonds des mers. Manu, en outre d’être un bon marin (j’ai pu le constater pendant un petit passage de 600 milles que j’ai fait à son bord), il a le don des gents, et une belle façon d’écrire, ce qui n’est pas le lot de chacun. C’est pour ça qu’on a publié son premier recit “le vent l’emportera”. Car on aîme bien les navigateurs qui nous inspirent et nous font rêver (à ne pas confondre avec les grand gueules, dont aussi il y en a pas mal, qui font des grandes campagnes de crowfounding et médiatisent à fond ses projets, avant même d’avoir largué les amarres…)

      Quant à bien préparer son bateau, il faut s’en donner les moyens. Manu -comme tous les oiseaux du large- a toujours hate de repartir, même si son bateau est spartiate ou limite inconfortable pour les navs qu’il envisage. Mais il sait bien ce qu’il fait, il connaît les choses importantes à prendre en compte (il change régulièrement son gréement dorment, par exemple): il n’est pas si babacool comme on peut croire (depuis sa première Chimère, en outre, il en a bouffé de milles…) C’est pour ça que maintenant il va passer un an entier en Bretagne pour préparer la Céleste à la Longue Route 2018. Et t’inquiètes: une fois parti pour le tdm sans éscales et sans assistance, pendant dix mois il n’enverra plus beaucoup de messages sur feisbuc!

      Metello

  1. notre première publication | L'Alliance

    […] la publicaction d’un récit d’aventures de mer, Le vent l’emportera, écrir par Manu Wattecamps et qu’on a imprimé en 500 copies. Pour l’occasion, on a improvisé une maison […]

  2. Entretien avec Manu Wattecamps-Etienne - Magazine Rando & Trekking

    […] Voici le lien de sa page de présentation http://alliancesail.org/blog/francais/manu-wattecamps/ […]

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